France-Australie : Relancer La Coopération Sur Le Développement Durable Dans L’indo-Pacifique
Originally posted on Institut de Relations Internationales et Strategiques
À l’été 2023, le président français Emmanuel Macron a effectué une tournée de cinq jours dans le Pacifique-Sud, comprenant la Nouvelle-Calédonie, le Vanuatu et la PapouasieNouvelle-Guinée. Des questions de développement, allant de l'aide humanitaire au financement des infrastructures, en passant par la préservation des forêts et la restructuration de la dette, tout ce dont le président Macron a discuté de manière bilatérale lors de son voyage revêt également de l'importance pour l'Australie. En effet, Canberra a sa propre vision et des priorités claires pour la région du Pacifique et de l'Asie du Sud-Est.
Néanmoins, la coopération entre les deux pays dans ces deux régions reste relativement restreinte. Le renforcement d'un partenariat bilatéral présente non seulement une harmonie avec les valeurs communes des deux pays, mais il ouvre également de nombreusespossibilités. Une coordination accrue dans le domaine du développement et de la résilience au changement climatique pourrait décupler l'efficacité de leurs contributions respectives.
La feuille de route signée le 4 décembre 2023 entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays entend ainsi redynamiser la relation bilatérale et les échanges dans de nombreux domaines clefs : la défense, l’action climatique, l’éducation et la culture. La création d’un Centre d’excellence conjoint pour l’Indo-Pacifique (Australia-France Center of Excellence for the Indo-Pacific) devrait notamment favoriser la constitution et les interactions de réseauxu d’experts et de praticiens visant à une meilleure connaissance mutuelle.
FAIRE FACE ENSEMBLE AUX DÉFIS RÉGIONAUX
Les relations entre la France et l'Australie se sont rétablies progressivement après le contentieux sur le contrat des sous-marins, avec des efforts diplomatiques centrés sur la restauration de la confiance et de la coopération. Ce rétablissement s’est fait de manière constante et a résulté de facteurs tels que la compensation économique, la reconnaissance par Canberra du rôle significatif de la France dans la région et de l'évolution de la position australienne concernant le climat. La visite à Paris le 1er juillet 2022 du Premier ministre australien Anthony Albanese a constitué une étape décisive dans la reprise des relations bilatérales.
Plus importants encore, les besoins de développement en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique, tels que les impacts du changement climatique, les lacunes en infrastructures, les disparités économiques et la gestion durable des ressources, rendent la collaboration et la coordination à la fois essentielles et opportunes. Exploiter les forces des deux pays, mobiliser leur expertise collective et éviter les redondances sont des éléments majeurs pour maximiser l'efficacité.
Cependant, jusqu'à présent, le degré de coordination et de coopération entre l'Australie et la France varie d'une région à l'autre. La mise en place par la France depuis septembre 2023 d’une ambassadrice pour le Pacifique à Nouméa alors que jusqu’à présent le poste était basé à Paris devrait faciliter la mise en place d’initiatives franco-australiennes en faveur du développement régional.
Dans la région du Pacifique, l'Australie est en tête des efforts de développement, contribuant à hauteur d'environ 40 % de l'aide au développement totale allouée à la région entre 2008 et 2021, tandis que la France fournit un soutien spécialisé, mais limité, comptant pour moins de 1 % (en excluant les territoires français). Les deux pays collaborent déjà sur divers fronts dans la région, notamment au travers d’organisations et d’initiatives régionales, tels que le Forum des îles du Pacifique (FIP) et la Communauté du Pacifique (CPS).
L'assistance humanitaire et les secours en cas de catastrophe (HADR) illustrent au mieux la coordination entre les deux pays. L'accord tripartite FRANZ, regroupant la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande pour organiser une aide civile et militaire immédiate dans le Pacifique, a démontré sa valeur ces dernières années en coordonnant les ressources, les moyens et les efforts des trois nations en réponse aux catastrophes naturelles et à la COVID-19 au Vanuatu, Tonga, Fidji et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Canberra et Paris poursuivent également une coopération efficace au sein du Pacific QUAD (France-États Unis-Australie-Nouvelle Zélande) au bénéfice des États insulaires du Pacifique pour tout ce qui relève des patrouilles en mer et d’opérations de police des pêches.
De plus, la France aspire à aller plus loin que l'assistance humanitaire. L'Agence française de développement (AFD) est sur une trajectoire d'augmentation de sa présence et de sa contribution en faveur du développement durable dans le Pacifique Sud. Son réseau très actif dans l’ensemble de l’Indo-Pacifique à travers ses 27 bureaux, multiplie les initiatives dans les domaines des infrastructures, de l'environnement, des océans et de la résilience au climat, ce qui renforce davantage l'importance de la coordination des approches en matière de développement. Un de ces projets phares auquel d’ailleurs l’Australie participe est l’initiative KIWA, qui vise à renforcer l’adaptation de 19 pays et territoires du Pacifique à l’impact du changement climatique et à protéger leur biodiversité.
En Asie du Sud-Est, la situation est différente, offrant une marge de manœuvre limitée pour une coordination accrue entre Canberra et Paris. Bien que les deux pays aient un programme de développement important dans la région, ils ne sont pas aussi importants que d'autres partenaires régionaux, et il y a moins de raisons inhérentes à une coopération bilatérale étendue. La France apporte plus de soutien que l'Australie en l’Asie du Sud-Est, notamment au profit du Viêtnam, des Philippines et du Cambodge, mais les deux contribuent à environ 5 % de l'aide totale à la région.
DES PERSPECTIVES NOUVELLES À EXPLORER
Dans un récent rapport du centre de recherche Asia-Pacific Development, Diplomacy and Defence Dialogue (AP4D), plusieurs pistes de coopération avaient été suggérées pour que l'Australie saisisse l'opportunité d'une meilleure coopération et coordination avec la France en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique.
Dans le Pacifique, l'Australie devrait encourager la France à poursuivre l'expansion de ses contributions au développement, en se concentrant sur les initiatives environnementales et climatiques au-delà de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. De plus, la mise en place rapide de mécanismes de coordination bilatéraux, notamment des dialogues réguliers entre les fonctionnaires publics, et la finalisation d’une lettre d'intention entre le Département des Affaires étrangères et du Commerce (DFAT) et l'AFD concernant les infrastructures critiques et la résilience au changement climatique dans la région du Pacifique devraient être envisagées.
En outre, dans ce contexte, l'Australie devrait promouvoir l'implication de la France dans les mécanismes de coordination du développement dans le Pacifique. Même si la France a un statut d'observateur dans l'initiative "Partners in the Blue Pacific", l'Australie devrait accueillir favorablement sa participation, en particulier pour aborder des questions telles que la pêche illicite, non déclarée et non règlementée (INN). Cela est d'autant plus pertinent compte tenu des importantes Zones économiques exclusives du Pacifique dont dispose la France et de ses capacités de surveillance du domaine maritime. À ce titre, l’Australie pourrait aider la France dans le déploiement de l’initiative de renforcement des capacités maritimes CRIMARIO (Critical Maritimes Routes) dans le Pacifique-Sud. Ce projet de développement, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France, une filiale de l’AFD, a pour objet de faciliter l’échange d’informations maritimes et la coordination entre forces et agences maritimes chargées de la défense de l’Économie bleue de l’ensemble des pays littoraux de l’Indo-Pacifique. L'Australie et la France sont également des partenaires naturels pour aider à identifier et coordonner des contributions plus importantes de la part d'autres acteurs externes, en particulier européens. Des mécanismes tels que des forums de coordination des pays donateurs de fonds de développement et des conférences pourraient être mis en place à cet effet. Par ailleurs, une plus grande visibilité et cartographie des contributions respectives, l'alignement sur les exigences de diligence et de conformité, ainsi que des ressources dédiées à la coordination, constitueraient également des outils utiles pour que l'Australie et la France jouent ce rôle, en collaboration avec les partenaires du Pacifique.
En ce qui concerne la coordination des secours en cas de catastrophe (HADR) dans la région, l'Australie devrait également chercher à la renforcer davantage grâce à l'Accord FRANZ. Il serait pertinent d'explorer des options telles qu'une cellule de coordination permanente et des structures de coopération formalisées pour le FRANZ, tant au sein de la région qu'entre les trois pays. Cette approche ne peut que contribuer à améliorer l'efficacité des réponses aux catastrophes futures.
S’ENGAGER POUR RENFORCER LE MULTILATÉRALISME EN INDOPACIFIQUE
En Asie du Sud-Est, la position indépendante de la France, souvent qualifiée de "troisième voie", offre à l'Australie une opportunité précieuse pour engager des acteurs qui cherchent toujours à équilibrer leurs relations dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Les responsables australiens présents en Asie du Sud-Est devraient ainsi considérer la France comme un partenaire de grande valeur pour explorer des domaines d'intérêt mutuel. Cela pourrait inclure la coordination de leurs annonces au sein de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et lors de la réunion Asie-Europe (ASEM). De plus, il serait judicieux d'envisager des collaborations franco-australiennes potentielles avec l'ASEAN et les nations d'Asie du Sud-Est sur diverses questions. Cela pourrait couvrir des sujets tels que la sécurité maritime, la situation au Myanmar, la promotion de la connectivité, la poursuite des objectifs de développement durable des Nations unies et le renforcement de la coopération économique.
Dans les deux régions, il est essentiel que l'Australie explore les possibilités offertes par les contributions de la France et de l'Union européenne (UE). Les institutions de l'UE et plusieurs pays européens manifestent un intérêt croissant à accroître leur engagement dans le domaine du développement, notamment en ce qui concerne le financement des infrastructures. Dans ce contexte, l'Australie devrait réfléchir à la manière dont elle pourrait établir une collaboration fructueuse avec la France pour influencer et informer ces investissements, éventuellement en jouant un rôle central dans la coordination de ces efforts.
Les actions de l'Australie et de la France ont un impact significatif sur la stabilité et la prospérité des régions de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique. La coordination des efforts de développement dans ces régions est impérative. En travaillant en étroite collaboration, ces deux nations ont la capacité de laisser une empreinte positive et significative, assurant un avenir plus prospère et plus sûr pour leurs voisins et la région de l'Indo-Pacifique dans son ensemble.